1991 – Nabe’s Dream

nabes_dream
Genre : Journal Intime
Editeur : Éditions du Rocher
Date de parution : mai 1991
Nombre de pages : 826
ISBN : 2-268-011028-X


Quatrième de couverture

Plus on connaîtra ma vie dans les moindres détails, plus je serai libre.

Extrait

Jeudi 4 octobre. – Ça y est ! Sam est foutu dehors. Le patron de l’hôtel menace d’appeler la police. Marcel arrive à temps : il dormait. Les mecs voulaient garder sa radio et ses cymbales pour se rembourser l’ardoise !… Choron l’accueille très bien et l’installe dans le hangar. Seulement, il ne peut le garder qu’une semaine. C’est déjà plus à la vie à la mort ! «Toute la matinée, j’ai corrigée les épreuves de l’un de mes poèmes et supprimé une virgule. Dans l’après-midi, je l’ai rétablie », disait Oscar Wilde pour m’encourager. Je replonge dans le Régal. Hélène ne m’a jamais vu comme ça, me creusant la tronche des heures pour changer un mot. C’est que ça ne rigole plus. C’est la dernière semaine : après ce sera trop tard, et je vois tout le boulot que l’objet exige encore… Je finis une première lecture au sabre, où coquilles et ponctuations, paraphrases et synonymes volent en éclats. Maintenant commence le corps à corps. Tout à zéro, au peigne fin, à cheval sur la migraine. Du titre à changer sur trois lignes jusqu’à la table des matières absente. L’exergue « La littérature n’accepte pas les chèques » ne veut plus rien dire. Je refous celles des Contes : « Qui vomit a dîné ». Je rampe en escargot à antennes fébriles sur les paragraphes. Je remarque quelques passages vraiment très noirs, d’un désespoir effrayant. Je passe sans sourciller devant les portraits de Marcel, de ma mère et d’Hélène. Ces révélations incongrues, ces vérités amères vont m’attirer beaucoup d’ennuis. Il faut se débarrasser de sa biographie, coûte que coûte. Certains la laissent au vestiaire, moi c’est la première dame que j’invite à danser. Ceux qui croient se fuir en se détachant totalement de leurs livres et en écrivant à la troisième personne ne font que se chercher puis se perdre. Seuls les prétentieux se ménagent par les péripéties d’un autre. Le « il » pue. Le « je » n’est pas seul (me, myself and I : just us : it’s an evidence !).
Qui s’intéresse à ce que j’ai vécu si ça ne devient pas ce que j’écris ? Tous les moyens sont bons pour déverser son triste souffle, sortir sa triste vie, sa vie écrite, cette vie qui se prend comme une panthère foutue dans la trame des phrases, la résille… Il faudrait tout oublier dès la première page et se fixer une fois pour toutes dans cette aberration qu’est la mise en mots de sa vie dans un livre. J’ai cru en moi jusqu’au début de cette abominable confession.
Je ne suis pas de ceux qui ont toujours l’impression d’en avoir trop dit. Moi j’annonce toutes les couleurs. Je m’offre en toute candeur aux mitraillettes. Je n’ai aucune chance.
Je sais bien ce qu’il y a dans mon livre…
Barrault s’inquiète à cause de deux ou trois stances soi-disant politiques où je ne fais que poursuivre sur ce terrain mon offensive contre le Pouvoir en tant que tel, mais c’est l’existence même d’un livre pareil qui est un scandale pur. J’ai écrit un acte. Est-ce possible ? La révolte absolue est ma patrie… Je ne refais pas le monde, je me fais un monde de tout.

 

Compétences

Posté le

29 mars 2015