1992 – L’âge du Christ

Genre : Récit
Editeur : Éditions du Rocher
Date de parution : octobre 1992
Nombre de pages : 135
ISBN : 2268-013-987


Quatrième de couverture

En un instant, l’hostie disparaît dans mon corps. C’est fait, ça y est. Je suis rené, j’étais mort, je ressuscite. Tout peut commencer parce que tout recommence. Chaque fidèle ensuite entre dans le tombeau du Christ proprement dit. Je suis le mouvement. Par la porte basse, on se faufile tous. A l’intérieur, un petit autel triomphe avec des icônes. C’est exigu et lumineux. C’est bien là le bout du monde, le fond de la vie. Là où le père a désincarcéré Son Fils de Ses linges de mort. Je cherche les bandelettes de l’antimomie mais rien, juste le matelas de marbre où les deux groupies déposèrent le Corps des corps. Je m’agenouille, je prends appui pour m’envoler moi aussi, m’envoler en nouvel homme de trente-trois ans depuis la base de l’univers, comme une fusée de foi, une navette cruciale.
Je ressors. Les pèlerins italiens, les moines francis­cains, le gros évêque, tous ont disparu. Enfin, les Coptes ont cessé. C’est silencieux désormais. Titu­bant de grâce comme un accidenté, je me guide à la lumière. Un début d’aube m’indique ta sortie. Le soleil suinte au bord de l’église. Je me retrouve dans la cour. Le jour s’est levé pendant ma pre­mière communion. Une belle lumière pâle inonde Jérusalem. Il fait beau comme une bête. Le ciel bleuit de plaisir. J’ai un peu froid. En m’éloignant, près d’une poubelle, je surprends un petit mou­vement. Un chat finit un poisson.

Extrait

À quoi servent les saints si ce n’est à les imiter ? Être autrement vivant ! Car tout est là. Non pas survivre, mais supervivre : voilà qui est intolérable aux mortels vivoteurs, aux vivotants mortifiés. Après tant de dons, le swing des choses leur échappe encore. Ils ne savent pas danser; ils ne comprennent pas pourquoi le derviche a envie de danser. Un jour, Rûmî passait près d’une boutique de frappeurs de pièces de monnaie. Le rythme de leurs marteaux le séduisit : il commença à tourner de plaisir, exactement comme Thelenious Monk lorsqu’il est enchanté par sa rythmique. Les frappeurs de monnaie continuèrent à jouer du marteau, admirant le divin tournis de Rûmî. C’était trop beau : ils ne pouvaient plus s’arrêter au point que leurs pièces, sous les coups s’aplatirent comme des pétales d’or qui s’envolèrent dans la boutique pour s’en aller tournoyer avec le derviche en extase.
Endervichez-vous ! Voyez la vie en tournant ! Ayez la tête qui tourne en vivant ! Si j’étais musulman, je me ferais derviche sur l’heure. Leur musique envoûtante est si morbidement stimulante ! Ça me survolte de frayeur ! Les derviches conseillent de « quitter ce qui est limité » et s’élancent dans la ronde de la mort. Ils dérèglent, par leur giration extatique, le secret du temps. Ils le défont, comme une pelote de laine ! Il est très dangereux d’arrêter un derviche qui tourne, on pourrait ne plus distinguer le passé de l’avenir. « Soufi » signifie fils du présent. Vivre dans l’éternel vertige du présent ! Tous les crimes se commettent dans le présent. C’est au présent qu’on voit Dieu.
Entrer dans le visible pour se rendre invisible. Être subversif partout, hérétique dans l’hérésie même. Garder sa cohérence en se décalant chaque fois, aller droit en zigzags, échapper dogmatiquement au dogme, être extérieurement dans tout et hors de tout dedans, être partout ailleurs, out of nowhere c’est à dire quelque part partout ! Quels voyages ! Voilà mon catholicisme ! Polyinstrumental !


p.97-98
Compétences

Posté le

1 avril 2015