Genre :
Recueil d’articles littéraires parus dans la presse
Editeur : Éditions du Rocher
Date de parution : octobre 1998
Nombre de pages : 384
ISBN : 2-268-03127-6


Quatrième de couverture

Oui à André Suarès ! Oui à Thelonious Monk ! Oui à Brancusi ! Oui au Free-Jazz ! Oui à Fassbinder ! Oui à Pasolini ! Oui à Freddie Green ! Oui à Paul Claudel ! Oui à Charlie Parker ! Oui à John Cowper Powys ! Oui à Léon Bloy ! Oui à Soutine ! Oui à Dostoïevski ! Oui à Ava Gardner ! Oui à Gertrude Stein ! Oui à Raymond Roussel ! Oui à H.-G. Clouzot ! Oui à Miles Davis ! Oui à Louis Massignon ! Oui à Roger Gilbert-Lecomte ! Oui à Malcolm X ! Oui à Jean Barraqué ! Oui à Omette Coleman ! Oui à Romy Schneider ! Oui à Eric Dolphy ! Oui à Simone Weil ! Oui à Charlie Christian ! Oui à Sonny Rollins ! Oui à Maurice Pialat ! Oui à Lester Young et à Coleman Hawkins ! Oui à Ahmad Jamal ! Oui à Charlie Mingus ! Oui à Gandhi ! Oui à Dominique de Roux ! Oui à Jelly Roll Morton ! Oui à Che Guevara ! Oui aux Marx Brothers ! Oui à Bernanos !…

Extrait

S’il reste si vivant malgré sa sanctification laïque, c’est que Che Guevara n’a peut-être pas existé en tant que personne réelle, mais plutôt comme personnage de totale fiction. Sans doute le Che est réel comme Don Quichotte l’est : dans toute la splendeur transgressive de sa propre mise en scène. Je veux bien croire qu’il ne soit pas né personnage de roman, mais très vite, il s’est transformé en être irréel… Je parle de Don Quichotte, mais plus encore que les ressemblances évidentes entre les attitudes chevaleresques des deux héros, ce sont les visions que ces héros ont d’eux-mêmes qui me frappent par leur similitude. La « folie » de Don Quichotte n’a de cesse, dans les deux livres de Cervantès, de donner le change à sa lucidité (peu connue à cause de celle attribuée à Sancho Pança à ses côtés et qui fait diversion), une lucidité non pas sur la réalité traversée mais pour sa réalité à lui en tant que personnage de roman. Pour tout dire, Don Quichotte n’est jamais aussi lucide que lorsqu’il se conçoit comme n’existant pas vraiment. Che Guevara est ainsi : il sait qu’il a été inventé et cette invention le porte.
Le dégoût devant la mythologisation des grands hommes est encore une manière de rabaisser leur grandeur. Bien sûr, le Che a été récupéré : son portrait, planétairement diffusé, sert d’étendant aux groupes les plus toquards. Sur Internet, de site en site, on peut surfer sur son cadavre comme sur une planche de salut et son mythe est pris dans le web comme un tigre au filet. Oui, le culte soixante-huitard à la sauce www est insupportable. Clips, pins, tee-shirts du Che donnent à vomir. Du chantouilleur protestataire Renaud qui, pour vendre son spectacle, affiche son effigie à Nike qui appose sa griffe sur son béret ; de Fidel Castro, qui survit dans son propre pays grâce à l’idolâtrie fructifiante de son ami, aux agences de tourisme boliviennes qui organisent des circuits sur les stations de sa Passion, tout le monde trahit Che Guevara en le christifiant lui qui, de sa vie, n’était jamais entré dans une église. C’est le messie sexy du vingtième siècle. Pourtant, il est de l’honneur de tout esprit libre de traverser ce miroir aux alouettes et en mille et un éclats de faire exploser son image.
Quelle image ? Celle du pauvre photographe Alexandre Korda, le baisé n°1 qui s’est fait avoir par la Terre entière en donnant pour rien la photo la plus célèbre du Che, prise à la dérobée, sur une tribune à La Havane, le 5 mars 1960. Clic ? Zut ! C’est cette icône-là, suintant la fausse révolution qu’en bon iconoclaste, je me propose de détruire : elle obstrue l’accès à la vérité, la romanesque vérité d’un des hommes les plus fabuleux du siècle.

Extrait de « Che Guevera ou la révolution de l’échec »,
Technikart n°18, décembre 1997 (commandé et décommandé sans explication par Jacques Braunstein)

p.325-326
Compétences

Posté le

1 avril 2015