1988 – Le bonheur

Genre : Roman
Editeur : Denoël
Date de parution : janvier 1988
Nombre de pages : 506
ISBN : 2-207-23406-1


Quatrième de couverture

Z…, peintre officiel, a reçu commande d’une fresque allégorique représentant Le Bonheur. Andréa de Bocumar, l’un de ses nombreux assistants, est chargé d’y exécuter des pieds en lévitation. Il part, avec sa compagne Athénée, pour l’Italie afin de retrouver la tradition des maîtres du Quattrocento. Il n’y parviendra jamais.
Arrivé à Marseille, il retrouve sa famille et, avec elle, les lieux de son enfance. l’irruption des souvenirs, la mort d’une grand-mère, des rencontres extravagantes et des conflits amoureux détourneront le couple vers Arles et d’autres lieux.
Ce roman picaresque et foisonnant sera lu avec le plaisir du premier degré ou dans la complicité de multiples références culturelles. Le Bonheur est un roman sur la gloire. Le Bonheur est un roman sur Marseille. Le Bonheur est un roman sur l’enfance, la famille, le voyage. Le Bonheur est un roman sur l’art et sur l’argent. Le Bonheur est un roman d’amour.
Le Bonheur est un événement.

Extrait

Il désignait le guide toujours sur sa corniche. Il avait les pieds dans le vide, qui pendaient ainsi chaussés de tongs. Andréa s’était mis à genoux sous le regard ahuri de l’obèse. Il prenait Athénée à témoin.
— Vois ! Vois donc ces 2 merveilles ! Exactement celles du saint de l’Angelico ! Les mêmes pieds, charnus, un peu velus, rosés, parfaits… C’est trop beau ! Ils étaient ici ! Les pieds du Bonheur nous tendaient les mains ! Tu te rends compte ! Le Sort savait ce qu’il faisait à nous retenir en France ! Oh ! Les pieds pour Z… On ne va pas rentrer bredouille, Athénée ! Ah non, pas bredouille du tout…
Le guide poussait des soupirs d’interrogation. La muse lui résuma la situation alors que le peintre fouillait déjà dans son Idée chercher son matériel…
— Surtout ne bougez pas, chère providence ! dit-il au gros en ramenant un carton, ouvrant sa boîte de sanguines.
— Est-ce que je peux seulement vous demander d’enlever vos souliers ?… Merci.
— Je ne bouge pas, je ne bouge pas…, assurait le guide qui de bonne grâce se prêtait aux fantaisies mouvementées de ce fada…
Debout, le tenant comme une tablette de Lois, Andréa incendia le subjectile d’un trait sanglant. Bocumar, le cœur gros de bonheur, en exaltance totale ne cessait de rire rageusement.
— Ah ! Les pieds ! Ah ! Je les ai eus ! Sacrés panards ! Quelle chasse à courre ! Les voilà enfin les gibiers… Vous ne m’échapperez plus cette fois…
Il dégageait les masses.
— Venez à moi mes mignons ! Par ici, à pieds joints dans mon tableau ! Ah ! Ah !
Il dessinait en rouge les 2 membres idéaux. Pendant ainsi dans le vide, soulevés pour ainsi dire…
Alors vint voleter autour de lui un essaim de papillons blancs. Une tribu ailée, pétalante d’agacerie. Ils froufroutaient sur le fond noir de sa cape, se posaient pour discuter dans le creux du chapeau, venaient effleurer les pieds. Ah ! Les fous qui s’y prendraient les ailes ! Vilains petits icares… Mutins gêneurs ! Empêcheurs ! Tourneurs en rond ! Andréa, en ours polaire, les dispersa d’un coup de pansement mouflesque.
Et les pieds avançaient. Il les contournait d’un trait noble, pur brun fou, bien veloutant la chair, soignant chaque doigt avec la délicatesse d’une pédicure japonaise…
— Vous bougez cher ami ! Vous bougez !
— Pas ma faute enfin ! C’est ce papillon de malheur qui me chatouille…
Andréa avertissait les bestioles troublantes. Si elles se foutaient trop au milieu de la scène, il les dessinerait ! Tant pis pour eux ils y passeraient les papillons ! Comme le reste ! Bocumar peignait tout ce qu’il voyait…
Même le cor majestueux du second orteil, et le durillon mignon là… Les saints sont de grands marcheurs… Andréa raffinait de stries carmin en ombres, modelait le talon un peu cornu…
Les papillons décident d’aller embêter Athénée, assise sur le capot de son Idée. Elle leur parle elle, toquée d’amour pour tout ce qui vit. Elle les questionne sur le Temps, eux les éphémères ! Les papillons en connaissent un rayon : ils doivent savoir à quel point une seconde a son week-end. Comment les minutes bissextiles et les quarts d’heures interminables. Il y a même des machaons dépressifs qui s’ennuient en 24 heures : c’est trop long pour eux, butiner ne leur dit rien, ils se flinguent avant, ils s’envoient dans les filets : on retrouve des lettres désespérées dans les corolles pliées… ah ! Tout à ses pieds, André. Il s’exalte encore à si bien réussir les ongles. Même l’incarné ! Qu’est-ce qu’il est en forme le salaud. Tellement longtemps qu’il les a sur le cœur ces pieds de bonheur ! Chaque doigt de pied a sa personnalité. Comme les 7 nains. Il en a fait un grincheux, un simplet, un dormeur ! L’orteil imposant très « Prof », et le petit doigt frileux « Atchoum » !… D’ailleurs le gros guide éternue. Il est temps de conclure.
— Attention ! C’est presque fini ! Ah ! Ah ! Là… encore… Oui… Attention…Voilà ! dit Andréa se précipitant vers son modèle pour lui serrer la main. Il le secoue chaleureusement. L’autre remet ses sandales.
Sur l’esquisse, les pieds rouges se détachent bien sur le fond gris pâle. Deux beaux pieds émouvants, magiques. C’est gagné : ils illuminent le regard. Ils respirent. La pureté de leur candeur charnelle saute aux yeux.
Athénée s’approche et sourit, un dernier papillon sur l’index… Elle recule…
— Pas mal… pas mal du tout…
Chapitre XVII, « Les tongs », p.306-308
Compétences

Posté le

28 mars 2015