Genre : Roman
Editeur : Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : février 1995
Nombre de pages : 347
ISBN : 2-07-073934-1
Quatrième de couverture
Lucette, c’est Lucie, c’est la danseuse Lucette Almanzor, la femme du docteur Louis Destouches et de l’écrivain Louis-Ferdinand Céline. C’est une femme fragile et forte qui tient de la colombe et de la lionne. Elle a connu la guerre, la prison, l’hôpital, l’exil. Elle illumine les derniers chefs-d’oeuvre de Céline, dont elle a partagé l’existence pendant vingt-cinq ans jusqu’à sa mort en 1961. Depuis, Lucette ne vit pas dans le souvenir, mais dans un présent enchanteur où elle ne cesse de charmer tous ceux qui l’approchent. Ainsi l’acteur-cinéaste Jean-François Stévenin qui souhaitait adapter à l’écran Nord et qui préfère vivre avec la Lili du livre une histoire d’amitié. Il fallait un romancier comme Marc-Edouard Nabe pour mettre en scène les péripéties picaresques de cette héroïne réelle qui se joue de toutes les fictions.
Extrait
Quel défilé depuis 1961 ! Il y avait ceux qui venaient certains jours et ceux qui pouvaient venir n’importe quel jour.
Ça marchait par cercles, comme chez Dante.
D’abord, le premier cercle serré des vrais intimes, en plein dans le mille de la rose céleste, au cœur du cœur de la Reine du Paradis. Très peu d’élus.
Puis un deuxième cercle, plus large, d’amis à demi élus qu’on voyait moins souvent et pas ensemble.
Et encore un autre cercle, de charmantes connaissances, des presques amis qui s’étaient éloignés. Et puis le cercle des faux amis, des « céliniens » qui téléphonaient mais ne venaient pas. Ceux-là voulaient rendre justice à la pensée politique de Céline qu’ils estimaient censurée alors qu’elle n’était que mal comprise, et par des abrutis de leurs espèces d’abord. On attaquait ensuite les différents cercles – encore plus larges – de ceux que Madame Tolstoï appelait les « sombres », et dont toute femme d’artiste qui se respecte, elle et son mari, doit se garder : les fans, directement suivis par les détracteurs -leurs frères ! – formaient de cercle en cercle une grande couronne épineuse qui, d’une certaine façon, protégeaient la Reine et son miel des derniers cercles encore plus loin du centre, ceux des simples lecteurs anonymes ou pas assez, fléau parasitaire indispensable à toute littérature ! Qui est plus éloigné de l’écrivain que son lecteur ? Baudelaire, pourtant expert en la matière, n’a jamais été plus hypocrite qu’en traitant son lecteur de « semblable ». On écrit pour personne, et ce personne peut parfois porter la Majuscule.
Ça marchait par cercles, comme chez Dante.
D’abord, le premier cercle serré des vrais intimes, en plein dans le mille de la rose céleste, au cœur du cœur de la Reine du Paradis. Très peu d’élus.
Puis un deuxième cercle, plus large, d’amis à demi élus qu’on voyait moins souvent et pas ensemble.
Et encore un autre cercle, de charmantes connaissances, des presques amis qui s’étaient éloignés. Et puis le cercle des faux amis, des « céliniens » qui téléphonaient mais ne venaient pas. Ceux-là voulaient rendre justice à la pensée politique de Céline qu’ils estimaient censurée alors qu’elle n’était que mal comprise, et par des abrutis de leurs espèces d’abord. On attaquait ensuite les différents cercles – encore plus larges – de ceux que Madame Tolstoï appelait les « sombres », et dont toute femme d’artiste qui se respecte, elle et son mari, doit se garder : les fans, directement suivis par les détracteurs -leurs frères ! – formaient de cercle en cercle une grande couronne épineuse qui, d’une certaine façon, protégeaient la Reine et son miel des derniers cercles encore plus loin du centre, ceux des simples lecteurs anonymes ou pas assez, fléau parasitaire indispensable à toute littérature ! Qui est plus éloigné de l’écrivain que son lecteur ? Baudelaire, pourtant expert en la matière, n’a jamais été plus hypocrite qu’en traitant son lecteur de « semblable ». On écrit pour personne, et ce personne peut parfois porter la Majuscule.
Les céliniens, Lucette les avait en horreur. Elle refusait de se joindre au culte que ces crétins malodorants portaient à Céline. Ils avaient beau l’assaillir de lettres, ou de coups de téléphone, leur fameuse « adoration » toujours à contresens, pour le grand écrivain « maudit » dont elle était la femme si « effacée », était ce qu’elle trouvait de pire sur cette terre.
p. 28-30