Genre :
Recueil d’articles littéraires parus dans la presse
Editeur : Éditions du Rocher
Date de parution : octobre 1998
Nombre de pages : 376
ISBN : 2-268-03125-X

Quatrième de couverture

Non à la droite ! Non à la gauche ! Non au centre ! Non à Freud ! Non aux féministes ! Non à Mitterrand ! Non à l’Europe ! Non aux patrons ! Non aux syndicalistes ! Non au Dalaï Lama ! Non à l’Abbé Pierre ! Non au prix Goncourt ! Non au Téléthon ! Non au PCF ! Non à Serge Gainsbourg ! Non à l’humour ! Non à la Police ! Non à Maurice Pialat ! Non aux mous et aux salauds ! Non aux sectes et à ceux qui les combattent ! Non au Tour de France ! Non à la fidélité ! Non à la Gay Pride ! Non aux pédophiles et à ceux qui en voient partout ! Non à Le Pen ! Non à la mort ! Non au Nintendo ! Non au suicide ! Non au Salon du livre ! Non au préservatif ! Non à Internet ! Non au rap ! Non aux néo-situationnistes ! Non aux portables ! Non à Maurice Papon ! Non au maréchal Pétain et au général de Gaulle ! Non à Mazarine Pingeot ! Non aux urbanistes ! Non au Viagra ! Non à l’an 2000 !…

Extrait

L’espérance

Éditorial

C’est bon. Ca repart. Tout le monde le sent. Il n’y en a plus pour longtemps. Les signes se multiplient. Le Spectacle va crever : c’est clair. On arrive au bout. Il ne fallait pas désespérer. Moi aussi, j’ai eu peur, j’ai failli m’inquiéter, et puis j’ai repris confiance.
C’est sûr maintenant je vous dis. Trop, c’est trop. J’entends l’agonie qui râle. La Post-Fin est proche.
Le cinéma est allé trop loin dans la nullité. La publicité n’escroque plus personne. La télé soulève des millions de cœurs par jour. La politique n’intéresse plus du tout. Le fric n’est plus crédible. Les loisirs sont une torture. L’humour ne fait plus rire. La musique ne fait plus danser. La drogue ne fait plus rêver. L’amour ne fait plus bander. Tout va bien.
Le microcosme omnipotent bat de l’aile. Les pires crapules de l’auto-show elles-mêmes en ont marre. Je rêve qu’elles s’étripent dans leur cour maternelle et qu’on n’en parle plus. Il faudra les aider. Les chantres de la sympathie à outrance, les pontes de la vulgarité efficace, les patrons de l’anti-culture n’auront plus le temps de retourner leurs vestes : nous les exécuterons en smoking !
La seule stratégie : sortir de la résistance où les anciens combattants nous parquaient ! Quittons les maquis déprimants ! Ne descendons plus dans les caves du ciel à la première sirène ! Les bombardements sont finis. C’est la libération de l’Esprit !
La presse ne peut plus nous mordre avec ses magazines glacés comme des serpents. La radio a le hoquet et la télé ne passera pas l’été. Quelle joie va venir ! Quelle merveilleuse flambée de violence positive va incendier la Terre dans quelques temps. L’homme ne va plus être à la mode ! La vie va reprendre l’homme en main. Elle va lui arracher le masque du cœur !
C’est pour bientôt. Le Grand Soir de l’âme est imminent. Le Spectacle croyait pouvoir berner la planète jusqu’à la fin des temps. Ca suffit. Sa politique- tout transformer en modes contradictoires pour tout annuler- se déglingue d’heure en heure.
Je les vois les hommes. Ils en crèvent tous. La soif est là. Ca fait des années que j’attends ça : l’espérance qui pointe, minuscule à l’horizon. Le radeau de la méduse est sauvé ! Je ne suis qu’un nègre sur le tas de moribonds qui agite sa chemise en lambeaux, mais je connais beaucoup d’autres naufragés de 30 ans qui ne peuvent plus supporter d’avoir échoué. Il était pourtant bien beau le bateau des surdoués, l’esquif des espoirs de la littérature, du cinéma, de la bande dessinée et du jazz mystique réunis ! Ils sont partis vaillants, poussés par les bons vents, les anciens Rimbaud des disciplines. Et puis, la tempête médiatique a fait sombrer L’Enthousiasme. Tant pis pour eux. Ils n’avaient qu’à pas avaler sans réfléchir cette fausse liberté, cet humanisme répressif, cette dictature de la tolérance, faire comme les autres : se laisser prendre pour des images.
Crucifiés sur des golgothas mous, les nouveaux martyrs n’ont plus que l’optimisme pour s’en sortir. L’optimisme béat, contre toute attente, fanatique et absolu. L’optimisme comme extase ! Au fond du gouffre, la joie totale de savoir l’avenir encore plus noir. Il n’y a plus qu’une subversion : l’espérance débile, la dernière vertu qui nous reste, celle qui ne veut rien savoir. L’espérance qui éclate de rire parce que tout est foutu… La Foi est retenue en otage par les intégristes, la charité se vautre dans le business, seule l’espérance a envie de nous.
Debout les mort-nés ! On nous a coupé les jambes, mais les jambes ça repousse ! C’est fait ! L’heure a sonné ! Nous n’avons plus vingt ans ! On ne peut plus nous étouffer dans l’œuf des petits génies. Recrachons les compliments et sortons de la prostration dans laquelle le Spectacle nous consterne. Produisons ! Produisons ! Il en restera toujours quelque chose ! L’actualité sera transcendantale ou ne sera pas ! La politique si politique qu’elle deviendra de l’art ! C’est ça : il faut verser de l’art bouillant sur les derniers assaillants du château : les vieux cons et les jeunes salauds qui montent aux créneaux. Des œuvres ! Des œuvres ! Plus belles et artistiques possible, avec une force terrible qu’aucun journalisme ne pourra flagorner ou dénigrer. Un art qui embrase les êtres vivants, jusqu’aux animaux, aux plantes ! Je veux un art qui fasse bondir les kangourous de joie et pleurer de bonheur les saules ! Je veux un art qui fracture les cages thoraciques comme des coffres-forts !

 

L’Idiot International n°5, 17 mai 1989
p.53-55
Compétences

Posté le

1 avril 2015