Editeur : Éditions du Rocher
Date de parution : octobre 2004
Nombre de pages : 343
ISBN : 2-268-05255-9
Terrorisme, guerre, pédophilie, homosexualité, antisémitisme, télé-réalité… L’époque est trop littéraire pour qu’on se contente de faire de la fiction. Analysant à sa façon les événements de l’année, Marc-Édouard Nabe donne ici un roman de l’actualité.
Les colons sont des babas-cool pas cool. Écolos bricoleurs, ils sont venus sur la terre de ce qu’ils croient être le sionisme ancestral, par pur fantasme. Et pour réaliser ce fantasme, ils sont prêts à tuer. Pour eux, tous les Arabes sont des « voleurs », mais au moins, des voleurs qui connaissent cette terre et qui savent qu’elle est sacrée, ce n’est pas comme les Juifs de l’extérieur de Gaza, les Juifs de Jérusalem et de Tel-Aviv, ces bourgeois qui vivent à l’occidentale, boîtes de nuit, plage, Coca-Cola, nombril piercé et Cie !… Un colon juif est plus proche d’un Musulman intégriste que d’un Occidental libéral. Ceux-là n’ont pas plus pleuré le World Trade Center s’écroulant que la plupart des Arabes du monde entier. Pour eux aussi, c’étaient les deux tours de Babel du Mal ! Leur but, c’est de peupler la terre et vivre dessus le plus à l’ancienne possible. Qu’importe si on les traite d’arriérés : être juif, c’est être juif en Israël. Ils ont cessé de l’être ailleurs et regrettent que Sharon porte toujours un costume de ville. Ils viennent de loin pour ne plus aller plus loin qu’ici. Les colons font bande à part sur ces cinquante kilomètres carrés de pureté. Ils ressemblent à des Mormons venus s’installer sur la terre des Peaux-Rouges en pionniers du Far West, sauf qu’eux sont persuadés que c’est la leur depuis toujours. Ils veulent remonter la Bible comme d’autres veulent remonter le temps. On en est à l’Apocalypse, et ils en sont à la Genèse.
Ariel Sharon n’a pas réussi à convaincre les colons de Gaza de se déplacer, même en leur faisant miroiter un peu plus de sécurité. Ils s’en foutent. Ils font de l’occupation du territoire une question religieuse, même si ça met leur vie en péril et en position de faiblesse la politique d’Israël. Hébron et ses alentours est à eux ; pas question de s’éloigner d’un pouce du tombeau d’Abraham ! Ils préfèrent garder les cadavres des patriarches plutôt que les corps vivants de leurs enfants !
Ça barde donc chez les Israéliens ! Les plus violentes disputes sont toujours entre ceux qui vivent à l’intérieur des « frontières légitimes » et les autres qui ont été encouragés jadis par les travaillistes à s’implanter un peu plus, et à qui on demande de déguerpir. Tous se foutent sur la gueule sans jamais penser une seule seconde que dans ces chamailleries territoriales, la question palestinienne à proprement dire est évacuée, si j’ose dire.
Les colons se sentent trahis par des pacifistes haïssables qu’ils jugent comme étant aussi injustes que des Arabes voulant les foutre dehors de chez eux. Et les autres se sentent vexés que leurs frères puissent s’accrocher à un bout de terre sans intérêt au point de mettre en danger leurs enfants alors qu’à quelques kilomètres de là ils seraient tout à leur aise pour mieux profiter d’un terrain plus grand, tout ça au nez et à la barbe de Dieu. Encore une ou deux élections, et ils finiront bien par s’entendre. Le pire, présenté comme un pis-aller, c’est là où ils sont les meilleurs. L’indécence est telle que les observateurs « impartiaux » oublient complètement que d’un côté ou d’un autre, il s’agit toujours d’une bande d’occupants qui se partagent entre eux des morceaux d’un pays qui ne leur appartient absolument pas. Les démocrates (qui jouent la carte de la paix en prônant les deux États séparés) sont aussi fanatiques que les colons qui ne veulent pas décamper de leur villa en préfabriqué.
« Deux États séparés », c’est niquer la Palestine, avec en plus l’alibi de dire que le Grand Israël fait des effort pour la « binationalité » ! C’est comme si l’Amérique, il y a cinq cents ans, s’était autoproclamée charitable de laisser un ou deux de ses États aux Cheyenens ou aux Sioux. La grande peur c’est que Gaza devienne si dangereux que des familles entières, plutôt que d’accepter de déménager, choississent de s’expatrier. Catastrophe des catastrophes au moment où Israël a besoin de se peupler davantage ! Mais rien à craindre, c’est mal connaître les colons qui préfèrent se faire tuer par des Palestiniens tout en insultant une dernière fois le Likoud.
Je ne me fais pas de souci : Sharon finira bien par arriver à ses fins. Surtout que ses fins ne font que commencer. Le retrait de Gaza contre la suroccupation de la Cisjordanie. C’est la stratégie sharonienne : massacrer la zone avant d’évacuer. Il aura ainsi moins l’air d’avoir trahi les colons s’il les fait quitter Gaza après en avoir fait un champ de ruines. La communauté internationale s’indigne, mais la communauté internationale n’est faite que pour ça : s’indigner.
Israël, il faut imaginer que c’est un pays où tout pacifiste est considéré comme un ennemi à abattre et où le Premier ministre est immédiatement traité de traître si son extrémisme varie d’un iota.